31/01/2012
Réunion DCP (2011-2012) n°3 (Vincent VILMAIN) : CR
Le 30 janvier 2012, devant une assistance de 11 personnes, Vincent Vilmain (agrégé d'histoire, docteur EPHE, rattaché au GSRL) a traité, pour le programme "Dieu Change à Paris" du GSRL, le sujet suivant:
"Les trois Paris juifs de la Belle époque"
L'occasion d'une mise en perspective historique très bienvenue, qui part de ce rappel oublié: Paris ne concentrait que 1% de la population juive française au début du XIXe siècle.
Paris n'a pas toujours été le centre névralgique de la vie juive en France.
Au moment de la Révolution, un juif français sur 100 réside dans la capitale. En 1808, on compte 2733 juifs, puis 2908 en 1809 (et 6 synagogues). La population juive augmente ensuite pour atteindre 21.000 en 1870 selon la ville de Paris.
Croissance forte de la population juive à Paris
Rappel, 1872 est la dernière date où le recensement tient compte, en France, de l'appartenance religieuse. Depuis, la population juive parisienne a continué à croître, non seulement en valeur absolue, mais aussi relativement au reste du pays. En 1880, près de 80% de la population juive de France serait ainsi désormais concentrée dans la capitale! Dès 1860, beaucoup d'Alsaciens et de Lorrains émigrent vers Paris.
Peu à peu, les juifs installés de longue date à Paris s'inquiètent, notamment du nombre d'indigents parmi ces nouveaux arrivants. Les familles séfarades (plutôt rive gauche) et les familles ashkenazes (plutôt rive droite) s'organisent pour faire face à cette recomposition, à la fois culturelle et sociale.
Trois Paris juifs se déploient dans le temps: un Paris israélite (marqué par les familles les plus anciennement présentes), un Paris prolétaire (celui des nouveaux arrivants, installés à partir de la seconde moitié du XIXe siècle) et un Paris rive-gauche étudiant, interlope, d'abord proche du premier "Paris juif", puis du second.
La Belle époque (des années 1870 à 1914), pour le judaïsme français, correspond à une période de crise marquée par les affres de l'Affaire Dreyfus, mais aussi la tumultueuse naissance du sionisme comme mouvemnt politique, sur fond de renforcement de l'antisémitisme racial, et des grandes migrations venues de Russie.
Or, ces années de crise ont été assez peu étudiées dans le contexte parisien, au contraire du Paris du "réveil juif" des années 1920s. On dispose, pour cette période d'après-guerre, de sources abondantes, dont la revue Menorah, étudiée par Nadia Malinovich (cf. son article dans les Archives Juives, "Une expression du « Réveil juif » des années vingt : la revueMenorah (1922-1933)", 2004). C'est l'acmée de la constitution d'un franco-judaïsme marqué par le choix majoritaire de l'assimilation.
Mais pour la période précédente, plus de 20 ans après la dernière synthèse publiée (cf. livre de Béatrice Philippe, ci-contre), on ne dispose pas d'étude exhaustive.
La Belle époque, "melting pot" parisien pour un nouveau judaïsme
C'est pourtant durant cette période d'avant 1914, celle de la Belle époque, que l'on peut bien comprendre ensuite ce "réveil juif" des années 1920s.
Avant la Première Guerre Mondiale se produit la rencontre entre monde israélite et nouvelle émigration ashkénaze. Entre ces deux mondes, il y a des différences fondamentales. De langue. De niveau de vie. De culture urbaine. De culture politique. De rapport à la modernité, à l'autre, au non-juif. La religion est certes un point commun, mais jusqu'à un certain degré seulement.
Les rabbins Zadok Kahn (1839-1905) et Yehuda Lubetski (1850-1910) s'investissent dans ce défi interculturel posé à l'intérieur du judaïsme parisien. Le second devient le rabbin des migrants entre 1881 et l'année de sa mort. Les élites israélites apprécient son travail de contrôle spirituel des migrants. La religion ne fait pas nécessairement le lien, mais peu à peu, les passerelles se créent.
En matière de synthèse, Vincent Vilmain termine par un tableau des "trois Paris juifs".
1. Le premier, le Paris israélite, est dominé par la bourgeoisie installée de longue date dans la camitale, marquée par un déplacement d'Est en Ouest dans la ville, mais toujours rive droite.
2. Le second Paris, le Paris prolétaire, se localise pour l'essentiel à l'intérieur du quartier du Marais. C'est l'espace d'accueil privilégié pour des milliers de migrants, souvent venus d'Europe de l'Est.
Rappelons que derrière New-York, Manchester et Londres, Paris est la quatrième destination au monde pour les migrants juifs. Entre 6 et 8000 arrivent à la fin du XIXe siècle, 13.000 ensuite, 70.000 après la Première Guerre mondiale... Un très fort contraste s'observe entre les métiers de ces migrants, étudiés par Nancy Green, et ceux de la société israélite installée. Le juif israélite voit d'un mauvais oeil ces juifs en haillons, qui passent pour ternir l'image d'intégration des juifs déjà installés. En même temps, les entrepreneurs voient dans ces nouveaux arrivants une main d'oeuvre possible, et l'essor d'une philanthropie juie, à partir des années 1890 (asiles israélites, sociétés de secours, etc.) vient faciliter l'intégration des Ashkénazes qui ancre peu à peu dans Paris ses habitudes et son folklore yiddish.
3. Le troisième Paris, le Paris rive gauche, estudiantin, est nourri par l'arrivée de nombreux étudiants juifs étrangers. Dans ces effectifs, on compte nombre d'étudiantes. Les premières universités européennes à s'ouvrir aux femmes sont Zürich, Berne, puis Paris.
Ces étudiantes et étudiants sont porteurs d'un fort militantisme politique, généralement socialisant. On trouve le socialisme marxiste, le sionisme, le bundisme (socialisme juif, à partir de 1897). Beaucoup sont meurtris par l'Affaire Dreyfus, et par les réactions israélites très modérées, jugées très "molles".
Généralement tournés vers des études "utiles" et un projet concret, rémunérateur (médecine), ils sont souvent localisés dans le 5e, le 6e, le 13e et le 14e arrrondissement de Paris. Hostiles aux "bourgeois" juifs installés, ils s'en rapprochent une fois les études finies.
Une institution comme l'Université populaire juive, fondée à Paris en 1902 (cf. cet article de Vincent Vilmain dans les Archives Juives), va servir de creuset de rapprochement social. Ouverte et fondée par les sionistes dans le 4e arrondissement, elle attire les étudiants mais est aussi fortement subventionnée par le Paris israélite (à 80%). Une seconde université populaire est fondée en 1904 à Montmartre, contribuant aux nouvelles synthèses portées par le "troisième Paris juif".
Publié dans A noter : réunions du GSRL, Judaïsme à Paris | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : archives juives, cr, judaïsme, judaïsme parisien, gsrl, ephe | Facebook | |
Les commentaires sont fermés.