Réunion DCP (2010-2011) n°4 (Fabien Quédé) : CR

Le 14 mars 2011 dans nos locaux du GSRL, Fabien Quédé (étudiant en Master 2 à l'EPHE) nous a proposé pour notre 4e réunion de l'année 2010-2011 une analyse fort stimulante sur le sujet suivant:

"De la communauté villageoise à l'association religieuse: la recomposition du bouddhisme lao en île de France"

En présence de Pascal Bourdeaux (EPHE) et d'une dizaine de participants, nous sommes partis à la découverte d'une minorité bouddhiste fort peu connue en région parisienne.

 

Très bien documenté, l'intervenant a utilement commencé par rappeler le contexte historique général, marqué en particulier par la Guerre civile laotienne, de 1964 à 1975. Elle a opposé trois camps, les communistes soutenus par l'URSS, la droite conservatrice alliée aux Etats-Unis, et la droite neutraliste favorisée par les Français (ces derniers sont royalistes).

Après 20 ans, les communistes l'ont emporté. Ceci a entraîné l'exil de près de 10% de la population laotienne totale, principalement en destination de la Thaïlande, de la France, de l'Amérique du Nord et des Etats-Unis. On compterait aujourd'hui environ 50.000 Laos en France. En plus, il faut compter les Hmongs. Et quelques khmers. Rappelons qu'il existe une cinquantaine de groupes ethniques au Laos.

Il existerait aujourd'hui 15 pagodes laotiennes en France. Elles sont toutes situées à proximité d'un centre d'hébergement créé pour les réfugiés d'Asie du Sud-Est. On compte également deux pagodes en Belgique, une en Allemagne. Sur les 18 pagodes bouddhistes laotiennes en Europe, on compte deux tendances.

7 pagodes sont proches de la famille royale en exil.

11 pagodes acceptent de coopérer avec le pouvoir communiste.

 St Leu la forêt, étudiée de près par Fabien Quédé, est une des pagodes principales. A noter qu'un tiers des pagodes laotiennes de France sont situées en île-de-France.

 

 Le Monastère de St Leu la forêt s'appelle aussi Vat Sisattanak.

Vat veut dire "monastère" en laotien. Le monastère de St Leu a été fondé en 1985. C'est un des tout premiers en Europe. Il est situé dans le Val-d'Oise, à 15km au Nord de Paris, dans la ville de St Leu la forêt, qui compte aussi une synagogue et une mosquée.

 

L'enquête en 2009 a porté sur 12 personnes, dont 8 moines, et 3 retraitantes.

Dans le bouddhisme laotien, les femmes ne peuvent pas être nonnes. Retraitante constitue le statut le plus élevé.

St Leu la forêt est le plus grand monastère lao en Europe (avec 8 moines).

Il est composé d'un sanctuaire, une salle de cérémonie, et plusieurs cellules pour les moines. Il comporte un dizaine d'autels. Il s'agit d'une ancienne maison en meulière de 2 étages, réamménagée. Ce monastère s'est constitué en association religieuse en raison des avantages conférés par ce statut. Fabien Quédé souligne que les dons manuel constituent 90% des revenus du monastère. Les dons sont l'unique moyen par lequel le monastère peut fonctionner, car les moines ont l'interdiction formelle de travailler (Bouddhisme theravada).

 

Le bureau des donations enregistre les dons, en échange de prières de bénédiction. Un des enjeux est de retrouver une cohésion et une solidarité dans l'exil, notamment à l'occasion de la fête bouddhique en l'honneur des adhérents de l'association décédés (fin mars).

 Environ 400 familles d'origine laotienne dispersées en région parisienne  subviennent régulièrement au besoin du monastère.

 

De la polyvalence traditionnelle au statut d'association cultuelle

Le contraste, naturellement, est considérable, entre un espace urbain et laïque (île de France) et la société laotienne, caractérisée par la prégnance d'un espace rural et religieux. Au Laos, le monastère est au centre de la communauté villageoise. Il occupe toutes les fonctions. Rien de tel en France, particulièrement à Paris. L'ancrage religieux laotien à Paris tient compte de ce contraste, et se reconfigure en conséquence, autour d'un modèle associatif qui passe par la reconnaissance par les pouvoirs publics de l'association.

Mais ce statut n'empêche pas le monastère de se poser en marqueur identitaire fort, en "géosymbole" (Bonnemaison). Il fonctionne comme un marqueur géographique de l'identité ethnique (qui se superpose ici avec l'identité religieuse).

L'enjeu des régulations et du contrôle a été étudié très soigneusement par Fabien Quédé. D'une manière générale, la nature de l'autorité reste incontestablement monacale et monastique, mais le pouvoir tombe progessivement entre les mains de décisionnaires laïques et associatifs. Ce processus s'explique ainsi: le développement de l'association impose des compétences que les moines n'ont pas.

 

Vers une sécularisation?

Parmi ces compétences figure l'impératif d'assimiler des principes de laïcité française et de liberté d'association.  Fabien Quédé termine son exposé très riche par l'examen de l'hypothèse d'un scénario de sécularisation. En région parisienne, les jeunes couples Lao sont très peu présents aux cérémonies, essentiellement fréquentées par les exilés (venus dans les années 1970). La complexité des rapports de force entre tendances politiques (royalistes, communistes..) ne simplifie pas la structuration du fragile mouvement bouddhiste lao en France.

Dans le cas de Saint Leu la forêt se pose enfin le problème de l'espace. Il y est impossible d'étendre l'aire du lieu de culte. Les possibilités de parking sont quasi nulles. Des trains circulent tout près, la rue est très passante... Les conditions sont difficiles. L'élargissement de l'espace cultuel étant inenvisageable, quelles perspectives d'avenir? Sans construction de pagodes bien visibles dans des espaces dédiés, l'hypothèse d'une dilution de l'identité religieuse Lao en île-de-France se pose.