Réunion Programme DCP (2010-11) n°2 (Mbambi et Fath) : CR

Le jeudi 4 novembre 2010, devant treize personnes (dont Jean Baubérot), s'est déroulée notre seconde réunion GSRL du programme "Dieu Change à Paris".

 

Son sujet? Les Eglises africaines en région parisienne, terrain en plein essor depuis 30 ans.

Après l'habituel tour de table, deux orateurs ont conduit la réflexion, prolongée par un débat.

Florent Mwanda Mbambi (docteur EPHE) a commencé par prendre la parole pour décrire, sous l'angle anthropologique, les processus d'implantation et d'essaimage des Églises d'expression africaine en région parisienne. Il a posé la question suivante: Pourquoi les Africains ne s'intègrent pas dans les Églises existantes?

"Les Africains disent: nous avons besoin d'exprimer notre foi d'une autre manière." En matière de prière, de chant, de sociabilité, les chrétiens originaires d'Afrique affirment des attentes qui ne coïncident pas toujours avec l'offre proposée par les Églises déjà installées.

Le processus est souvent celui-ci: on observe d'abord une Église fondée par une Église missionnaire occidentale. Puis une cellule de prière se différencie, d'expression africaine. Cette cellule débouche sur une Église de maison, puis sur une Église locale. C'est ainsi que s'est développé, depuis les années 1980, un maillage de plus en plus dense de communautés évangéliques d'expression africaine.

 

 Rêve, transe, chant

Florent Mwanda Mbambi insiste sur l'originalité de l'univers symbolique et rituel de ces chrétiens. Il illustre l'importance du rêve, présenté comme un régime de réalité, il rappelle le rôle clef de la transe, la fonction majeure du chant, et souligne d'une manière générale la "manducation du système symbolique des féticheurs par le christianisme".

 Il souligne aussi la dérégulation qui marque actuellement ce champ, avec de nombreux pasteurs peu formés et une scissiparité considérable (divisions, émiettement). Beaucoup d'entrepreneurs indépendants de biens de salut" se lancent dans la constitution d'une communauté locale, simplement armés d'une douzaine de versets (toujours les mêmes, répétés d'un dimanche à l'autre) et d'un catalogue de miracles ou de sujets de prière.

Il met l'accent sur le caractère stratégique des finances, et leur fréquente opacité, allant jusqu'à souligner ceci: une des origines des vocations pastorales, dans ces milieux religieux, est "de savoir où va l'argent". Devenir pasteur serait le seul moyen d'en avoir le coeur net!

 

De nombreux titres sont donnés aux responsables (apôtres, prophètes, serviteur et servante, docteur, pasteur etc.), sans qu'une hiérarchie claire apparaisse pour autant. Mais certaines figures charismatiques s'imposent ponctuellement, à l'image de Maman Ntumba (ci-contre), dans les années 1980.

Prophétesse congolaise à la réputation flamboyante, elle a exercé une profonde influence sur les premières Églises africaines de région parisienne, en "établissant" plusieurs pasteurs.

Elle est repartie ensuite au Congo, en s'enrichissant passablement au passage, souligne F.M.Mbambi, qui rappelle que l'État congolais exonère tout ce qui est en rapport avec les Églises...

 

Insistant pour finir sur la grande diversité des situations, Florent Mwanda Mbambi prend l'exemple des locaux du 81, rue Doudeauville (métro Chateaurouge). De 13H à 16H, 13 Églises s'y réuniraient. De 16H à 19H, 13 autres Églises prennent le relai. Kimbanguistes, Ngounzistes (remonte à Donna Béatrice), Évangéliques de diverses obédiences...

Le terrain est immense, et appelle de futures études, qui gagneront à s'appuyer sur une solide culture anthropologique.

Les deux orateurs du jour: Florent Mwanda Mbambi, Sébastien Fath

 

Prenant à son tour la parole, Sébastien Fath (GSRL, CNRS) a commencé par rappeler que les Églises de migrants font partie du paysage protestant français contemporain depuis plus d'un siècle, mais qu'à partir des années Pompidou et Giscard, l’augmentation des flux d’immigration en provenance d’Afrique a progressivement changé la donne.

Le recensement général de la population française dépouillé en 1999 par l’INSEE signalait la présence en France de 400.000 africains (sub-sahariens), soit 10% de la population immigrée totale. Ils ne représentaient que 4,2% de cette population en 1982, et 0,7% en 1962. La tendance s'est largement poursuivie depuis puisque les chiffres de 2007 (INSEE) évaluent à 644.000 les migrants venus d'Afrique sub-saharienne (12,3% du total des immigrés).

 

Comme le souligne Bernard Coyault, «cette catégorie de population tend naturellement à constituer en son sein des Églises qui sont culturellement, théologiquement et socialement à leur mesure» (Coyault, ASSR, 2005). Ces évolutions se doublent d’un décalage de plus en plus net entre une Europe très sécularisée, et un Sud toujours très religieux, qui conduit le missiologue Andrew Walls à observer que l’Europe a remplacé l’Afrique comme «principale région» appelée à recueillir l’activité missionnaire chrétienne.

La figure de Dieu en France perd ses traits métropolitains, pour adopter les couleurs de l’immigré. Rien d’étonnant dès lors si les Églises africaines en région parisienne connaissent désormais un développement spectaculaire, repéré sur différents terrains.

 

CEAF, ECOC, Pastorale congolaise...

Brossant très brièvement l'historique de leur implantation, qui voit naître les premières Églises locales franciliennes au début des années 1980, Sébastien Fath a mis l'accent sur les dynamiques de réseau qui travaillent depuis quelques années ce nouveau milieu protestant parisien.

L' Afrique évangélique à Paris s'appuie sur des logiques de réseau complexes à décrypter, entre regroupement et dissémination (parfois sectaire), et une précarité territoriale (nomadisme des adresses) qui complique la tâche de l'observateur.

Néanmoins, deux grands réseaux participent aux restructurations actuelles, sur le mode d'une interconnection croissante avec le tissu protestant existant:

- D'une part la CEAF (Communauté des Églises d'Expressions Africaines de France), initiée par le pasteur Bulangalire, qui comporte, en 2010 (chiffres de juin 2010) 39 assemblées. Rattachée à la FPF, elle apparaît aujourd'hui un peu en perte de vitesse, mais joue un rôle régulateur significatif (voir son site internet http://www.ceaf.fr/).

-D'autre part, l'ECOC (Entente et Coordination des Oeuvres Chrétiennes), qui comporte, en 2010 (http://www.ecoc.fr/), pas moins de 72 communautés évangéliques d'expression congolaise, sous la houlette d'Albert Watto.

Sébastien Fath fait observer que ces deux structures ont changé de nom et de perspective. Dans son  appellation d'origine (CEZAF), la première faisait explicitement référence à l'identité zaïroise, tout comme la seconde renvoyait à l'identité congolaise.

Désormais, le "C" de l'ECOC renvoie à "Chrétien" (et non plus congolais), tout comme la CEAF revendique simplement une "expression africaine", indiquant par là un accent croissant sur la mixité culturelle et le refus de l'enfermement ethnique ou national. Exemple parmi d'autres, la trajectoire de la "sprinteuse de Dieu" (cf. son livre ci-contre), l'ancienne athlète antillaise Marie-Françoise Lubeth, longtemps secrétaire générale de la CEAF tout en n'étant nullement africaine.

-Il faut signaler enfin l'essor, depuis les années 2000, de la pastorale congolaise d'île de France, qui regrouperait, selon Sarah Demart, auteure en 2010 d'une thèse remarquée sur les Églises de réveil congolaises, entre 300 et 400 pasteurs en 2008! (1)

 

Le "temps des réseaux", pour ces nouvelles Églises, n'en est qu'à ses débuts. Entre logiques transnationales (mises en lumière, à partir de l'affichage évangélique africain, par baptiste Coulmont), ancrage national et régional, et dérives autocéphales et sectaires, les Églises africaines (ou d'expression africaine) ne sauraient rester confinées dans un statut d'exotisme.

Oscillant entre risque de ghetto et (plus souvent) tremplin d'intégration progressive dans la société française, elles constituent une part majeure de l'actualité, et de l'avenir, des christianismes franciliens.

 

(1) Vérification faite, ces chiffres semblent surévalués. En réalité, la pastorale congolaise de FRANCE (pour tout l'hexagone) rassemblerait 200 pasteurs en 2011. Cela reste considérable (d'autant que cette pastorale ne rassemble pas la totalité des "pasteurs"), mais dans des proportions nettement inférieures aux chiffres cités ici. (rectificatif publié par S.Fath, le 15 décembre 2011)