Etudier l'affichage religieux parisien (compte-rendu réunion DCP n°4)

Jeudi 18 février 2010, Baptiste Coulmont, maître de conférences à l'Université de Paris VIII Nanterre, nous a partagé l'état de ses recherches sur le sujet suivant:

"Les réseaux évangéliques africains à Paris au miroir de l'affichage: aspects méthodologiques"

En voici, ci-dessous, un bref compte-rendu (pour plus de détails, contacter directement Baptiste Coulmont par le biais de son blog de recherche).

À l'aide d'une projection Powerpoint, Baptiste Coulmont nous a apporté une démonstration très convaincante et très prometteuse de l'intérêt d'une étude systématique des modes d'affichage public des acteurs religieux dans l'espace parisien, au travers de l'exemple de l'évangélisme des diasporas africaines.


Un corpus d'une centaine d'affiches

Baptiste Coulmont a développé ses recherches partir d'une collecte d'affiches effectuée dans le quartier de la Goutte d'Or, à Paris, près de la station de métro Chateau Rouge. Le corpus étudié est considérable: une centaine d'affiches ont été photographiées, et prélevées sur place pour analyse.

Citant Pap N'Diaye, Baptiste Coulmont a commencé à souligner que les noirs, en France, apparaissent individuellement visibles en tant qu'individus, mais invisibles en tant que groupe social. L'affichage religieux constitue pour eux un mode de visibilisation en tant que groupe social.

Le vocabulaire descriptif pose une série de problèmes. Églises "noires" ? "Africaines"? "Ethniques"? Aucun label n'est vraiment satisfaisant. Mais Baptiste Coulmont souligne que le phénotype (la couleur de peau) doit être pris en compte ici, car il est mis en scène, affiché, illustrant une revendication de visibilité de la part d'Églises évangéliques de migrants, souvent multi-ethniques, marquées par un poids dominant des origines sub-sahariennes. Sur les 326 personnages qui apparaissent dans le corpus, seulement 11 sont codés comme blancs, ce qui représente 3% des personnages.


Espace d'affichage très concurrentiel

Choisissant de relever systématiquement sur les affiches des variables transversales (origine géographique, vocabulaire, répartition homme/femme etc.) à des fins de traitement quantitatif, Baptiste Coulmont a produit, grâce à cette approche sérielle, de multiples observations de synthèse que l'on ne détaillera pas ici.

On soulignera simplement que la majorité des adresses citées relèvent de la Seine-Saint-Denis, mais qu'une ouverture internationale apparaît aussi. Il existe un circuit d'invitation de pasteurs étrangers. Cette ouverture joue sur trois grandes aires géographiques: l'espace africain (subsaharien), l'espace européen (Londres, Hambourg, Berlin, Bruxelles), l'espace américain (Canada, Bahamas, Etats-Unis, Brésil: 8 mentions). Cette ouverture s'inscrit dans une culture francophone: la langue française est très largement dominante, l'anglais apparaissant comparativement très peu sur les supports.

L'espace d'affichage dans la rue apparaît comme très concurrentiel. Même quand il y a de la place à côté, on préfère coller sur l'affiche du concurrent. Les affiches mettent en scène l'autonomie des personnes plus que l'appartenance à un groupe plus grand qu'elle. L'accent porte sur la scissiparité plus que sur le regroupement fédératif.

Les titres donnés attestent d'une grande variété, mais où domine le "pasteur" (92 mentions) plus que le "prophète" (36 mentions), sur fond d'une assymétrie homme-femme en faveur des hommes (19% des personnages mentionnés, et 16% des personnages représentés, sont des femmes).


Dynamiques réticulaires

Enfin, Baptiste Coulmont a souligné l'importance des dynamiques réticulaires, des réseaux d'invitation et d'échange. En s'appuyant sur une modélisation graphique extrêmement claire et pédagogique, il souligne notamment l'importance des acteurs non-cléricaux dans ces réseaux.

Ceux qui servent de pont ne sont souvent pas pasteurs: on pense aux chanteurs chrétiens, en particulier. On voit que les porteurs de capitaux spécifiques (titre cléricaux) sont en partie relativisés. Dans la mise en oeuvre des réseaux, ils sont un peu marginalisés par les chanteurs et chantres, qui n'apparaissent pas si auxiliaires, mineurs qu'on aurait pu le penser. On s'aperçoit par le réseau que ces derniers jouent ont un rôle structurant.

L'approche réticulaire montre aussi que c'est la multiplicité des liens qui permet de repérer un groupe, plus que l'étiquette ou la figure d'un pasteur. L'affiche constitue une source précieuse, bien que partielle, pour comprendre les modes d'institutionnalisation et d'inter-relations de groupes dont on sait souvent très peu de choses.