26/09/2012
Réunion DCP n°1 (2012-13) : Les dominicains à Paris
Le 24 septembre 2012 s'est déroulé la réunion de rentrée de notre programme GSRL "Dieu Change à Paris", avec un invité exceptionnel, en la personne d'Eric de Clermont-Tonnerre (ci-contre).
Son exposé très riche, effectué devant les 12 personnes venues pour l'occasion, a fait l'objet ensuite d'une discussion argumentée conduite par François Mabille, qui permis de compléter utilement le panorama et la réflexion.
Le thème du jour était "Les reconfigurations de l'ancrage parisien de l'ordre des Dominicains".
Eric de Clermont-Tonnerre est aujourd'hui directeur général des éditions du Cerf. Il a été précédemment maître des novices de 1984 à 1992 puis Prieur provincial de la province dominicaine de France de 1992-2001, entre autres responsabilités. Sa formation initiale s'est déployée dans les domaines de l'économie et de la gestion (études à l'ESSEC).
De trois à deux provinces
Jusqu'en 1997, l'ordre des Dominicains, créé par Saint Dominique (1215), était organisé dans l'hexagone en trois provinces, "trois tranches napolitaines". Au Nord, la province de France (englobant Paris). Au Sud, la province du Midi (Provence, Toulouse...).
Entre les deux, la province de Lyon. Cette organisation, mise en place au moment de la restauration de l'ordre en France par Henri Dominique Lacordaire, a été refondue en 1997-98 avec la fusion des provinces de Lyon et de France. Du coup, on s'est retrouvé avec une très grande province, au Nord, et une beaucoup plus petite province dans le Midi.
Cette dernière, qui regroupe environ 190 frères, ne dispose que d'un centre de formation, l'Institut Catholique de Toulouse, tandis que la province septentrionale dispose de beaucoup plus de centres.
Cette organisation provinciale (chaque province ayant, depuis 1975, le statut de congrégation) est complétée par des vicariats, territoires de mission à l'étranger, comme en Europe du Nord et en Afrique du Nord. Le vicariat du Vietnam est devenu autonome. La province de France (à laquelle appartient Paris) comporte une dimension missionnaire très importante.
Deux entités communautaires à PARIS
Il y a trente ans, il existait 6 communautés dominicaines à Paris, dans les XIIIe, le VIIe et le VIIIe arrondissements. Paris comportait aussi trois couvents : Saint Jacques, l'Annonciation et Saint Dominique, porteur des éditions du Cerf.
S'ajoutent la Maison Saint Basile, le centre oecuménique Istina (Saulchoir), la résidence Sertillanges, le couvent Maydieu. D'autres implantations communautaires s'ajoutent dans Paris extra-muros. Aujourd'hui (2012), il n'existe plus que deux entités communautaires, l'Annonciation (VIIIe, avec 45 frères) et Saint Jacques (XIIIe, une soixantaine de frères).
Le couvent de l'Annonciation, plus récent, est plus tourné vers la mystique. Quant au couvent Saint Jacques (photo ci-dessous), il est davantage tourné vers l'université. Les petites équipes de prêtres ouvriers ont par ailleurs disparu à la fin des années 1970. Rappelons que les couvents dominicains sont des associations d'amis au départ, puis des associations de religieux qui possèdent leur propre couvent (contrairement à ce que l'on peut observer dans l'ordre des Jésuites).
Eglise du couvent Saint Jacques à Paris
En 1980, la province de France (englobant entre autres l'île de France) comportait 417 frères, dont 140 frères à Paris, soit un tiers. On tenait alors le discours "Il y a trop de frères à Paris". La moitié des frères parisiens sont localisés dans le XIIIe arrondissement, et seulement une douzaine de frères ont moins de 50 ans.
En 1992, la province de France compte désormais 344 frères (73 de moins que 12 ans plus tôt). 131 sont basés à Paris, et 18 ont moins de 50 ans. Parmi les frères, on compte des prêtres (en forte majorité) mais aussi des non-prêtres.
En 1998, l'ordre rassemble 475 frères dont 119 à Paris (12 de moins que 6 ans auparavant). Le montant total se réfère à l'effectif sur l'ensemble du territoire. Une petite vingtaine de frères ont moins de 50 ans.
En 2012, on ne compte plus que 355 frères (120 de moins qu'en 1998). Dans l'intervale, les vicariats d'Afrique du Nord et du Vietnam sont devenus autonomes. 112 frères sont installés à Paris, soit 1/3 du total. On note que 30 frères ont désormais moins de 50 ans, ce qui indique une tendance au rajeunissement.
Stabilité de la proportion des frères à Paris
De manière synthétique, on remarque, dans les évolutions décrites, une stabilité de la proportion des frères à Paris. Par ailleurs, le passage de 6 à 2 communautés est à souligner, sur la base d'une bipolarisation XIIIe-VIIIe arrondissements. D'autres modes de vie ont été marginalisés puis ont disparu: le combat des petites communautés, fondées sur un mode de vie plus familial (parfois plus adapté au travail professionnel) a été perdu. L'ajustement au rythme conventuel n'a pas été évident...
Dans les années 1970-80, les recrutements ont été marqués par une certaine gêne devant la perspective d'affection des jeunes à Paris. Cette période, marquée par une crise (certains annonçaient, en 1978, que "l'ordre est fini"), a été aussi celle d'une relance de noviciats à Strasbourg (1976) puis Lille et Paris.
Depuis 1978, en 34 ans, 196 frères sont entrés au noviciat (qui suppose 7 années de théologie), dont 123 Français. L'ordre continue à recruter parmi les formations longues, et se sent bien intégré dans les institutions et les oeuvres de l'Église catholique. En général, l'entrée dans l'ordre s'effectue entre 25 et 35 ans, et parmi les nouveaux frères, on compte plusieurs profils de retour à la foi.
L'ancrage parisien de l'ordre est un creuset d'engagement dans la culture (bibliothèque du Saulchoir), les médias (émission Le Jour du Seigneur), l'oecuménisme (Centre Istina, avec notamment le père Michel Mallèvre, ci-contre), la haute érudition (Commission léonine, qui produit une édition critique des oeuvres de Thomas d'Aquin), et la piété pèlerine (équipes du Rosaire, très actives dans les cités, mobilisées aussi pour un pèlerinage annuel à Lourdes).
Le Centre d'étude du Saulchoir, créé en 1992, a longtemps cherché sa voie mais s'inscrit aujourd'hui en complémentarité du Centre Sèvres et du Collège des Bernardins, organisant notamment une trentaine de soirées par mois (débats, conférences).
Les éditions du Cerf, fondées en 1929, sont également gérées, à Paris, par l'ordre des Dominicains. Peu présents dans les paroisses où ils sont peu demandés (ce serait une spécificité française liée au contexte de restauration à l'époque de Lacordaire, en dehors des paroisses), les dominicains encadrent en revanche une vingtaine d'aumôneries, et s'investissent dans l'enseignement (institut catholique). Ils savent admettre en leur sein diverses sensibilités et profils, dans le droit fil d'une ample tradition de débat portée par des figures comme le Père Chenu, le Père Congar ou le Père Carré.
Un acteur religieux majeur de la scène intellectuelle
Au total, l'engagement des frères dominicains dans la vie religieuse, sociale, intellectuelle de la capitale s'avère tout à fait considérable, et trop méconnu. Il gagnerait à être davantage étudié afin d'éviter les erreurs de perspectives!
Bien que regardés avec une relative circonspection par l'archevêque de Paris (car les religieux ne sont pas sous l'autorité de l'évêque), les dominicains représentent toujours aujourd'hui un acteur majeur et stratégique de l'influence catholique en île-de-France en matière de débat intellectuel et d'orientations culturelles et éthiques.
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