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18/04/2011

Réunion DCP (2010-2011) n°5 (N. de Brémond d'Ars) : CR

nicolas de brémond d'ars,catholicisme,église catholique,paris,jean-yves hameline,jean-paul ii,crLors de notre 5e réunion de travail de cette année 2011-2012, Nicolas de Brémond d'Ars (chercheur associé au CEIFR, engagé dans le MOCA (groupe de recherche "Modernité et catholicisme") s'est livré à une réflexion très stimulante sur les recompositions du catholicisme contemporain, notamment à Paris.

Pour cela, il s'est en particulier appuyé sur son dernier ouvrage, intitulé Catholicisme, zones de fracture (2010).


Il a commencé par rappeler que dans Les matériaux pour l'histoire religieuse du peuple français, le classement de la religion a été en terme de pratique, non pratique. Il y avait les  pratiquants réguliers, les pratiquants épisodiques, et les "chrétiens à roulette" (pour la naissance, l'amour, la mort: le berceau, la calèche, le corbillard).

Raisonner ainsi aujourd'hui est une "erreur de perspective totale". Les sociologues ont complètement oublié que ces gens-là, les "chrétiens à roulettes" allaient aussi à d'autres cérémonies pour leurs voisins. Dans une petite ville de 3000 habitants, les communions, les enterrements, les baptêmes des voisins scandent l'année, très régulièrement. Ces "chrétiens à roulette" se rendent à l'église pour toutes ces occasions. Ils ne sont donc pas si peu pratiquants que cela!

Mais ils ne pratiquent que dans l'ordre de l'extraordinaire. Jean-Yves Hameline, spécialiste de la liturgie catholique, parlait déjà, au cours d'un colloques de la différence, au 18e siècle, entre cérémonies extraordinaires et cérémonies ordinaires.

 

Glissement de l'ordinaire vers l'extraordinaire

La pratique ordinaire est considérée comme normative, or, la pratique extraordinaire est importante aussi. Et elle est d'autant plus importante aujourd'hui, que dans les mutations de la pratique religieuse en France, on a eu un glissement de l'ordinaire vers l'extraordinaire.

Le travail du sociologue est forcément obligé de s'adapter à cela. Si on fait l'inventaire de toutes les liturgies extraordinaires qui se déroulent dans le catholicisme depuis 30 ans, on comprend que la plupart des gens qui sont actifs ont pris l'habitude de se retrouver dans ces liturgies extraordinaires.

Un des acteurs qui a contribué le plus à cela, c'est Jean-Paul II, avec les JMJ. Un niveau supplémentaire s'est ainsi rajouté. L'ordinaire, c'est le quartier qu'on habite. L'extraordinaire, c'est tout ce qui est en-dehors du territoire local. Cela existait déjà depuis longtemps. Mais Jean-Paul II a rajouté l'étage mondial, avec les JMJ, tous les 2 ans, puis tous les 3 ans. On a induit l'idée que l'extraordinaire est plus porteur que l'ordinaire.

 

Le "Fraternel des jeunes de l'île de France"

nicolas de brémond d'ars,catholicisme,église catholique,paris,jean-yves hameline,jean-paul 2,cr,cardinal lustigerNicolas de Brémond d'Ars (ci-contre) souligne qu'on est passé à côté de ce basculement. Et pour l'illustrer, il s'appuie sur l'île de France. Depuis 1980, année de sa relance, "le Frat", le "Fraternel des jeunes de l'île de France", connaît l'évolution suivante.

Sur 12 Millions habitants en 1980, on comptait 1000 jeunes dans le Frat. Aujourd'hui, on compte 12.000 jeunes chaque année. Une année, on cible les 13-15 ans, l'autre année, ce sont les 15-18 ans qui sont mobilisés. Cela dure 3 jours. Il s'agit du seul rassemblement de jeunesse régulier en France. Le palier de 12.000 a été atteint à la fin des années 1990. Il s'agit là, par excellence, d'un rassemblement extraordinaire, avec une liturgie extraordinaire.  Et un impact sur l'ordinaire.

 

Nicolas de Brémond d'Ars fait observer que les outils dont on disposait jusqu'à présent ne servent plus très bien. Ils ne sont plus très pertinents. Beaucoup de catholiques sont actifs dans les services catholiques, et ne vont pas à la messe le dimanche.

L'enseignement de l'Eglise a changé aussi. Jusque dans les années 1960, on enseignait qu'il fallait aller à l'église tous les dimanches. A la messe. On "pointait". Jusque dans les années 70! C'est fini. La catéchèse biblique a évolué, il y a eu libéralisation, l'bligation d'aller à la messe n'est plus devenue une obligation. Dans la structure de l'enseignement, une mutation s'est opérée.

 

Fonction des synodes diocésains

Le catholicisme a changé complètement les critères mêmes de son adhésion. Un des éléments de recomposition à étudier aussi est l'échelon des synodes diocésains, très important. Pourquoi?

1. Pour l'histoire des liturgies extraordinaires.

2. Aussi parce que cela a créé une opinion catholique qui dépasse le local; sentiment d'universel.

3. Il marque enfin un clergé relativement marginalisé, évêque face à face avec les laïcs, transformation profonde de la place du clergé dans la société.

Avant, il y avait hiérarchie, évêque, conseil presbytéral, et les prêtres font l'interface avec le peuple. Le synode marque l'affirmation d'autres modes de régulation, avec promotion des laïcs, même si un synode ne peut exister que si l'évêque déclare un synode.

 

nicolas de brémond d'ars,catholicisme,église catholique,paris,jean-yves hameline,jean-paul ii,cr"Plus de la moitié des prêtres congolais ne sont pas au Congo"

Enfin, il faut rappeler l'enjeu des recompositions paroissiales ,y compris en île de France. Un niveau très intéressant a été atteint. L'implosion du clergé français a stimulé l'arrivée de prêtres venus d'ailleurs. On compterait 2000 prêtres étrangers venus dans les paroisses: congolais, polonais, vietnamiens, indiens... Plus de la moitié des prêtres congolais ne sont pas au Congo.

Dans les années 1950, on en était encore au schéma: 36.000 communes, autant de paroisses. Aujourd'hui, cela n'a plus rien à voir. C'est un sééisme. Deux pistes de regroupement de paroisse se dessinent:

1/ majoritaire : système traditionnel, une paroisse, un curé, avec un conseil pastoral, qui administre les services du territoire. Passage à regroupement fusion. Au lieu de 10 paroisses, plus qu'une.

Le prêtre se retrouve responsable des 10 anciennes paroisses. Mais localement, quelqu'un, forcément, prend de l'importance. C'est un système qui reste hiérarchique. Il aspire les responsables laïcs qui viennent occuper peu à peu toutes les responsabilités. Modèle monopolisitique. Les gens sont appelés un par un. On crée des fonctions.

2. Autre modèle, minoritaire, mis en place à Poitiers. Modèle colaescent (quand des particules de même nature s'assemblent). On ne va pas appeler les laïcs un par un, on leur demande si, conjointement, ils veulent assumer l'animation locale. Il s'agit de se mettre d'accord à 5 personnes pour assurer l'ensemble des services. Coordinateur, tenir la trésorerie locale, services. On n'opère jamais à titre individuel. Il existe aujourd'hui 400 équipes locales de cette nature. C'est un modèle minoritaire.

 

 La promotion du diaconat est un autre élément de recomposition, marqué par une ambiguité. Le diacre est-il au service du fonctionnement paroissial, ou au service de la charité ? Ambiguité qui demeure. On a les deux modèles, ce qui est difficile à gérer quand on veut faire une analyse. Surtout, il faut noter que le diacre est directement missionné par l'évêque.  Dans le diocèse de Versailles, on trouve 18 diacres sans lettre de mission. Sans fonction. C'est assez pyramidal.

 Nicolas de Brémond d'Ars poursuit son exposé en rappelant le décrochage entre l'opinion catholique française majoritaire, et "l'imaginaire normatif catholique romain" (sur la bioéthique, la morale sexuelle, le divorce...), et pointe le rôle du cardinal Lustiger dans une forme de reprise en main autoritaire, qui a tendu à freiner le travail de la Conférence des évêques. Doté d'une grande capacité d'anticipation stratégique, le cardinal Lustiger a exercé une marque très profonde sur le catholicisme parisien.

 

nicolas de brémond d'ars,catholicisme,église catholique,paris,jean-yves hameline,jean-paul ii,crSingularité catholique parisienne

Ce dernier a emprunté des voies disjointes du reste des catholicismes en France. On observe même un décalage très net entre le catholicisme proprement parisien, intra-muros, et le catholicismefrancilien.

Un exemple : entre les diocèses de la couronne de paris, les départements 91, 92, 93 94 95, une coordination fonctionne depuis de longues années pour réfléchir sur les problématiques en matière de liturgie. Le Diocèse de Paris est systématiquement absent de ces réunions, ou envoie un observateur.

Du coup, on assiste à un catholicisme qui est en train de vivre ce qu'il peut vivre dans la couronne parisienne, presqu'à l'opposé du catholicisme intramuros parisien.

Paris intramuros  fonctionne  sur un modèle ancien, et n'a jamais organisé de synodes. Paris a toujours procédé à un recrutement sacerdotal classique, et le cardinal Lustiger a fortement renforcé la dynamique, sur des bases plutôt conservatrices. Lorsque l'on regarde le clergé parisien du point de vue statistique, on voit qu'il se décline sur une courbe démographique parfaite, très harmonieusement.

nicolas de brémond d'ars,catholicisme,église catholique,paris,jean-yves hameline,jean-paul ii,crMais le séminaire de Paris a aspiré un certain nombre de candidats qui venaient de province, attirés par la personnalité du cardinal. Beaucoup plus qu'on ne croit! Ce recrutement a "asséché la province". Et cela a duré 25 ans. Après s'être formés dans la capitale, les recrutés restent dans le diocèse de Paris. Ceci confère une couleur cléricale à Paris, une couleur qui n'est pas du tout la même ailleurs.

A Paris, les réunions sont volontiers en col romain ou en soutane. En province, c'est "tous en chemise", ou presque. Par ailleurs, la stratégie sociale du catholicisme parisien est clairement ciblée vers les élites. Notamment au travers des groupes Evène. On réunit dans  une seule catégorie sociale, on cible les grandes écoles; il s'agit d'une stratégie sociale délibérée: toucher les élites.

 

 Parachevée par un long échange avec le groupe, l'exposé de Nicolas de Brémond d'Ars a véritablement enthousiasmé par sa précision et sa richesse analytique, invitant à poursuivre et amplifier les recherches sur le catholicisme parisien!

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